Liban : la congrégation qui soutient les femmes
Isabelle Le Louarn 23.10.1999
Liban : la congrégation qui soutient les femmes
L’autre planète. Dans les montagnes qui dominent Beyrouth, des religieuses ont créé l’unique centre reconnu officiellement pour l’accueil des mères célibataires.
De notre envoyée spéciale.
Au Liban, il est donc encore difficile de naître fille. Les femmes se heurtent à un monde structuré en fonction des intérêts des seuls hommes et sont les victimes d’une culture qui conditionne leur vécu. Dans cette société où les mentalités les placent en seconde position et où la loi est loin d’assurer l’égalité entre les deux sexes, que réserve l’avenir à ces mères d’enfants illégitimes ? Perdre sa virginité hors mariage, c’est signer son exclusion, et parfois son arrêt de mort. Dans certains milieux, ruraux notamment, la notion d’honneur familial pousse en effet jusqu’à laver l’opprobre par le sang.
Enceinte, mais à qui la faute ? Aux femmes bien sûr, l’homme ne pouvant en aucun cas être tenu pour responsable ! Seules, elles assument le blâme de la société et subissent les sanctions iniques d’un crime qu’elles n’ont pas commis. Marginalisées, montrées du doigt, sans repère, certaines ont alors recours à l’avortement clandestin, pratiqué dans des conditions sordides, où la dignité de la femme est ignorée. D’autres se tournent vers l’unique centre d’accueil pour mères célibataires du pays. Depuis 1935, année où une adolescente enceinte poursuivie par son père qui voulait la brûler est venue s’abriter dans la maison des soeurs du Bon Pasteur, la congrégation est restée fidèle à sa vocation de protection de la femme en danger, d’orientation et de réinsertion de la fille mère dans la société.
Une problématique dont le centre d’Aïn Saadé est bien le seul à se préoccuper. Car officiellement, les mères célibataires, au Liban, ça n’existe pas. Pourtant, leur nombre ne cesse d’augmenter. Le phénomène n’épargne aucune classe sociale. Elles sont une vingtaine au foyer - chrétiennes et musulmanes - gamines fragiles, blessées, déboussolées, que le destin a jetées trop tôt dans le tourbillon de la vie. Auprès des sours, elles viennent chercher le réconfort qu’on leur refuse ailleurs. Avec les psychologues et les assistantes sociales, les religieuses ont mis sur pied un plan d’action pour soulager la détresse de ces jeunes filles. Dans un premier temps, le but est de les sécuriser, de les amener à dédramatiser la situation. Entourées de toute l’équipe, elles vont alors effectuer un long cheminement pour décider du sort du bébé.
Parallèlement, pour ne pas se substituer aux solidarités naturelles qui répugnent trop souvent à s’exercer et tenter une réconciliation, l’assistante sociale s’efforce de rétablir le dialogue avec la famille. " L’objectif principal est d’aider ces mères à garder leur enfant, explique-t-elle. Soit en le faisant admettre par la famille, soit en se mariant avec le père naturel. Ce qui éviterait au nouveau-né de porter à vie la tare de l’illégitimité. Si ce n’est pas possible, elles confient l’enfant au centre afin de pouvoir travailler et subvenir à ses besoins. La troisième alternative est de le faire adopter. " Elle poursuit : " Depuis que j’interviens au foyer, une seule fille n’a pas renoncé à son bébé. Aujourd’hui, elle l’élève seule. Je vois par quels problèmes elle passe. Toutes aimeraient faire de même, mais malheureusement, la raison l’emporte toujours. " Rien en effet, jusqu’à la carte d’identité de l’enfant illégitime qui précise " de père inconnu ", n’incite à une telle démarche.
Les soeurs ne s’autorisent néanmoins aucun fatalisme. Ainsi, lorsque les blessures psychologiques sont atténuées, le centre encourage ces femmes à se construire un avenir. " Nous leur proposons des activités qui favorisent leur réinsertion dans la société et leur permettent d’acquérir une certaine autonomie en trouvant un emploi ", souligne l’assistante sociale. Un programme d’alphabétisation a aussi été mis en place. Quant aux étudiantes, elles sont épaulées dans leur cursus. Pas question de tout abandonner ! Parfois, pourtant, elles craquent, racontent leur histoire, souvent commune. Des histoires d’inceste, d’exploitation, de viol, de trahison, d’humiliations que les Libanais ne préfèrent pas entendre.
Hoda a dix-huit ans. C’est une adolescente équilibrée, d’un milieu aisé. Elle est enceinte de cinq mois. Lorsque son partenaire a appris sa grossesse, le contact a définitivement été rompu. Hoda croyait avoir trouvé le grand amour. Elle a été trompée, trahie par celui qui lui promettait le mariage. Elle restera ici jusqu’à l’accouchement puis s’en ira du centre sans l’enfant qu’elle aura mis au monde. Elle a choisi de le laisser à l’adoption. Un véritable déchirement. Mais comment faire autrement ? Une femme vivant seule attire les foudres, alors imaginez une femme seule avec un bébé ! " Même ici elles sont en danger permanent. C’est pourquoi nous devons les protéger en gardant leur anonymat ", confie sour Georgette, la provinciale.
Dans quelques mois, Hoda devra quitter ce lieu rassurant. Elle envisage son avenir avec angoisse. " Pour nous toutes, c’est difficile. Ici, on a trouvé ce qu’on n’osait pas espérer. Les sours sont exceptionnelles. Je n’aurais jamais imaginé de telles réactions sur une problématique aussi délicate. Elles sont maternelles, proches de nous, compréhensives, ouvertes... et drôles aussi. Il faut les voir avec les enfants ! ", avoue la jeune fille, s’enthousiasmant presque.
Isabelle Le Louarn
Article paru dans l'édition du 23 octobre 1999.
Ecrit par Origines Liban le Vendredi 22 Octobre 1999, 01:00 dans "ACTU 2017/2018" Lu 2288 fois.
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