Le rapport devrait donner à réfléchir, même si, au Liban, c’est un exercice de moins en moins apprécié, surtout au niveau officiel. D’ailleurs, publié depuis une semaine, ce rapport de la commission des Nations unies chargée d’enquêter sur le trafic des personnes n’a pas eu les honneurs de la presse. Il est vrai qu’il dénonce des pratiques que l’on voudrait ignorer, parce que le fait de reconnaître leur existence dérange. Certes, le rapport basé sur une enquête poussée de la commission auprès des autorités concernées, mais aussi auprès des différentes ONG qui s’occupent des femmes et des enfants, ainsi que de certaines organisations comme Caritas ou associations, comme Dar al-Amal, et auprès des avocats qui ont eu à défendre des employés de maison, met l’accent sur certains progrès accomplis dans le domaine des droits de l’homme. Si quelques éléments apparaissent positifs, notamment le taux réduit d’abus sexuels sur les enfants, il reste encore beaucoup à faire, notamment au niveau de la loi du silence qui entoure la situation des domestiques étrangers au Liban. Le Liban, pays des droits de l’homme ? Pour les travailleurs étrangers et surtout les travailleuses, c’est encore loin d’être le cas.
Des lois insuffisantes, une transparence aléatoire et surtout un manque évident d’accès aux personnes concernées restent les points qui ressortent du rapport de la commission des Nations unies sur le trafic des personnes au Liban.
Le rapport commence par constater que depuis la fin des affrontements militaires, en 1990, le Liban a ouvert ses portes aux travailleurs étrangers et notamment au personnel de maison, essentiellement des femmes venues du Sri Lanka, d’Éthiopie, des Philippines et d’autres pays connaissant des situations de pauvreté. Mais seize ans après le début de l’afflux de ces femmes étrangères au Liban, les autorités du pays n’ont toujours pas réussi à adopter des lois claires sur la question ni à fixer une stratégie pour l’arrivée et le séjour des travailleurs étrangers au Liban. Si des mesures ont été prises, elles l’ont été le plus souvent sur base d’une initiative personnelle de l’ancien directeur de la Sûreté générale, par le biais de la publication de circulaires internes. Des initiatives du même genre ont été prises au ministère du Travail et au ministère de la Justice, ce dernier ayant publié des brochures en anglais et en arabe, destinées à faire connaître leurs droits aux travailleurs, tout en mettant à leur disposition les numéros de téléphone de la police, de la Croix-Rouge et du service de Caritas destiné aux travailleurs étrangers. Mais toutes ces démarches n’ont jamais atteint le stade de la réglementation officielle.
Les plus vulnérables :
les femmes
Le rapport se penche particulièrement sur le cas des personnes les plus vulnérables, notamment les femmes étrangères engagées pour travailler dans les maisons.
Le rapport relève que ces personnes ne sont pas engagées dans le cadre d’accords d’État à État, mais par le biais de bureaux dont le travail n’est pas forcément réglementé. De plus, dès leur arrivée à l’aéroport de Beyrouth, la Sûreté générale leur confisque le passeport, qui est directement remis à leurs employeurs, généralement des femmes. Privées de leurs pièces d’identité, les travailleuses étrangères ne peuvent pas trop se déplacer, et si elles le font, elles risquent d’être arrêtées. Elles dépendent totalement de leurs employeurs et ceux-ci peuvent les maltraiter et abuser d’elles en toute impunité, parce qu’en toute discrétion.
Le rapport insiste ainsi sur le fait que la relation entre l’employeur et sa domestique n’est pas règlementée par le code du travail. Elle reste arbitraire et dépend totalement de la bonne volonté de l’employeur. Et si, par malheur, la domestique est soumise à des abus sexuels et autres, elle a rarement la possibilité d’en parler. D’où la difficulté, précise le rapport, de mener une enquête véritable.
Le rapport répertorie ainsi des violations évidentes des droits de l’homme, comme la privation de papiers d’identité, la privation de liberté et de congés, et d’autres plus discrètes, comme la violence physique, les abus sexuels, la privation de salaire etc. De plus, il est apparu aux enquêteurs internationaux que les travailleurs domestiques n’ont pas le droit de se marier au Liban. S’ils le faisaient, ils seraient immédiatement rapatriés. Les enquêteurs n’ont pas pu définir l’origine de cette interdiction, mais elle existe bel et bien. Tout comme les discriminations raciales sont légion, et les autorités le savent, sans jamais réagir, préférant laisser ce soin aux ONG, qui sont plutôt débordées.
200 000 travailleurs
étrangers pour 4 millions
de personnes
Selon l’enquête de l’ONU, il y aurait près de 200000 travailleurs étrangers au Liban, sur une population estimée à 4 millions de personnes. Il s’agit surtout de Sri Lankais, d’Éthiopiens, de Philippins, d’Indiens, de Soudanais, des ressortissants de Madagascar, du Bengladesh, du Népal, du Ghana, du Nigeria, du Sénégal, etc.
Le rapport explique ensuite longuement les porcédures adoptées pour le recrutement du personnel étranger et souligne le fait que celles-ci sont complexes et non strictement réglementées, ce qui ouvre la voie à beaucoup de violations des différents codes du travail. Même si, officiellement, les bureaux de recrutement doivent obtenir une licence du ministère du Travail, le rapport relève le fait que souvent, au Liban, la loi est contournée, voire détournée, en toute impunité.
L’élément positif, selon le rapport, c’est que de plus en plus d’ONG s’intéressent aux conditions de vie des travailleurs immigrés, qu’il s’agisse de personnel domestique ou de barmaids.
Engagées comme barmaids,
elles deviennent
des prostituées
Le rapport constate que dans la plupart des cas, les barmaids ne savent pas dès le départ qu’elles vont se livrer à la prostitution. Mais elles sont contraintes à le faire par leurs employeurs, soit elles la pratiquent elles-mêmes pour améliorer leurs conditions de vie. Selon le rapport, les autorités libanaises sont parfaitement au courant de l’existence de cette prostitution, mais ferment les yeux et essaient de limiter au maximum les contacts entre les barmaids et la population. Leur séjour est ainsi strictement organisé. Elles sont installées dans des hôtels répertoriés et n’ont le droit d’en sortir qu’à des heures fixes et leurs déplacements sont vérifiés. Le rapport précise que la Sûreté générale cherche à concilier la désapprobation populaire de la prostitution et le fait qu’il s’agit là d’un commerce lucratif pour le pays, sur les plans privé et public.
La situation des enfants est ensuite évoquée. Le rapport constate une diminution du phénomène des petits qui mendient dans la rue, même si cette pratique n’a pas totalement disparu. Toutefois, il relève qu’aucune stratégie pour mettre un terme définitif à ce phénomène n’a été établie. Les efforts restent ponctuels. Officiellement, l’âge du travail des enfants est fixé à quatorze ans, mais aucun contrôle strict n’est effectué pour vérifier que cette loi est appliquée.
De même, les statistiques officielles montrent que les enfants sont très rarement victimes d’abus sexuels, peut-être parce que cela reste un tabou. Mais, selon le rapport, ces statistiques sont difficiles à vérifier. L’association Dar al-Amal qui se charge de la réinsertion sociale des filles mères et d’autres cas sociaux relève que la plupart de ses pensionnaires ont été contraintes à la prostitution, en raison de leur extrême pauvreté et parfois à cause de certaines pressions familiales.
Selon le rapport, c’est souvent dans les familles où il y a plusieurs épouses, et donc des belles-mères, que les filles se livrent à la prostitution. Le rapport mentionne aussi les informations divulguées par certaines ONG, selon lesquelles des petites filles irakiennes et syriennes de 12 ans sont forcées à se prostituer au Liban. Ce trafic est, semble-t-il, en train d’augmenter. Ces filles-là arrivent au Liban avec leurs parents ou toutes seules via un réseau chargé de recruter des domestiques. Mais elles n’ont pas de recours pour protester ou se plaindre. Certaines fillettes sont parfois utilisées pour des jeux sexuels, sans être réellement violées. Mais, une fois encore, il est très difficile d’obtenir des statistiques ou même des aveux. C’est bien plus tard qu’elles réussissent à en parler. Ou alors ce sont leurs aînées qui révèlent le drame, elles-mêmes étant souvent incapables de le faire, par peur ou par ignorance.
La solution : des accords
bilatéraux et une plus
grande vigilance
En conclusion, le rapport relève une certaine amélioration dans les conditions des travailleurs étrangers, due notamment aux efforts des ONG qui parviennent à faire pression sur les autorités. Mais il constate aussi que le taux de racisme reste très important, ainsi que l’absence de transparence dans les démarches. Enfin, le rapport estime que s’il y a de bonnes initiatives, elles ne sont pas encore systématisées ni réglementées. C’est comme si le Liban officiel ne voulait pas reconnaître publiquement l’existence d’un problème, préférant recourir à des arrangements provisoires.
Le rapport insiste ainsi sur le fait que jusqu’à présent, les autorités n’ont pas suffisamment lutté contre le trafic des personnes, tout comme elles ne punissent pas vraiment les responsables de ces trafics. « Il n’y a, jusqu’à présent, que des premiers pas, affirme le rapport. Positifs certes. Mais cela ne va pas plus loin. »
Selon le document, le gouvernement libanais devrait conclure des accords bilatéraux avec les pays d’origine des travailleurs étrangers. Ce serait déjà un moyen d’arrêter le trafic et de protéger ces travailleurs. Mais il faut aussi des lois et des amendements des articles du code pénal, de manière à punir sévèrement les trafiquants. Enfin, le rapport estime que le ministère du Travail ne fait pas vraiment son travail et n’inspecte pas les lieux où sont hébergés les travailleurs, qu’il s’agisse de personnel de maison ou d’ouvriers. De même que le rapport estime que le centre de détention pour étrangers, sous le pont de Adlieh, est insalubre et devrait être déplacé vers un endroit plus aéré.
Bref, le document a le sentiment qu’il y a plus de paroles que d’action, dans la lutte contre le trafic des personnes. En tout cas, les initiatives prises ne semblent pas définitives. Il invite aussi les ONG à plus de dynamisme et de vigilance, puisqu’en définitive, c’est grâce à elles que les autorités peuvent se décider à bouger.
Bien entendu, le rapport n’évoque pas le cas des travailleurs syriens, qu’on ne sait plus vraiment dans quelle case placer.
Visiblement, le chemin est encore long pour que le Liban devienne réellement un havre des droits de l’homme, sans discrimination raciale ou autre. Tous les Libanais se sont esclaffés devant la fameuse photo de la dame défilant dans les manifestations, avec à ses côtés sa domestique portant le sac, la banderole et la bouteille d’eau. Mais combien de Libanais seraient prêts à réagir si une servante est agressée par son employeuse, ou par son mari ? Chacun préférera alors faire semblant de n’avoir rien vu. Au Liban, rien ne semble plus vrai que cette fameuse phrase : « Les hommes naissent égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres… ».
Scarlett HADDAD
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