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Femmes célibataires. Libres mais pas tout à fait libérées

L'Hebdo Magazine Nº 2526 du Vendredi 07 Avril 2006

 
 

 

Le célibat prolongé des femmes libanaises est devenu un vrai phénomène de société. Elles se marient de plus en plus tard et n'ont plus les mêmes aspirations qu'auparavant. Portrait d'une génération de jeunes femmes plus libres, mais pas encore tout à fait libérées.

 Se marier, oui, mais pas à n'importe quel prix. A elle seule, cette phrase pourrait résumer l'état d'esprit des jeunes femmes célibataires. Si le mariage a toujours le vent en poupe, depuis plusieurs années, le célibat prolongé des femmes apparaît comme un nouveau phénomène de société. D'une part, le nombre de femmes qui restent célibataires au-delà de 40 ans augmente, d'autre part, les femmes se marient de plus en plus tard. Les chiffres sont là pour le prouver. Il y a trente ans, l'âge limite du mariage stagnait autour de 23 ans, alors qu'aujourd'hui, la moyenne d'âge de mariage est très élevée: elle se situe autour de 29 ans à Beyrouth et de 27 ans pour le reste du pays. Selon les derniers chiffres publiés par la Direction centrale des statistiques en juillet 2005, le taux des femmes célibataires est de 73% pour les femmes âgées entre 20 et 24 ans, de 49,4% pour celles entre 25 et 29 ans, de 30,1% pour celles entre 30 et 34 ans, et de 20,9% pour les femmes âgées entre 35 et 39 ans (voir tableau page 57). Une autre enquête réalisée par l'USJ en 2001, démontrait qu'au-delà de 50 ans, le taux de célibat atteindrait au moins 8,6%. Autrement dit, le célibat prolongé des femmes ne cesse de se développer. Et cela se comprend aisément. Les raisons en sont multiples: les hommes âgés entre 25 et 35 ans continuent d'émigrer massivement, et ceux qui restent au Liban n'ont souvent pas les moyens de se marier jeunes en raison de la conjoncture économique et du chômage. Quant aux femmes, elles se sont peu à peu positionnées sur le marché du travail, au point de devenir indépendantes financièrement. Elles n'ont plus nécessairement besoin d'un mari pour leur garantir un certain niveau de vie. Elles se montrent donc plus exigeantes avant de franchir le grand pas. Le célibat devient un choix assumé et non plus une fatalité. Puisque cela est possible, la femme préfère se laisser le maximum de temps avant de choisir la personne avec qui elle passera sa vie. Comme l'exprime Laura, 32 ans, qui travaille dans une agence de voyage à Hamra. «J'ai un poste fixe, je gagne mon salaire, je ne me marierais jamais par devoir, mais seulement si j'ai trouvé la bonne personne. Je connais des femmes qui se marient parce que l'homme qu'elles rencontrent a de l'argent, qu'il les respecte. Elles se disent qu'elles vont bien finir par l'aimer. Avec un tel raisonnement, je divorcerais au bout de deux mois...»
La femme célibataire a de nouvelles exigences, elle doit aussi prendre en compte celles de sa famille. Autant dire que l'homme providentiel n'arrive pas au premier claquement de doigts. «La femme a de plus en plus un idéal d'égalité, elle attend de l'homme qu'il partage les tâches ménagères au quotidien. Elle désire qu'il ait un certain niveau de vie, qu'il soit compréhensible, et paradoxalement qu'il soit protecteur sans pour autant jouer le rôle du mâle dominant. La famille insiste pour que l'époux soit de la même confession et qu'il appartienne au même groupe social», explique Barbara Drieskens, anthropologue et chercheuse à l'Ifpo.

Des exigences plus grandes...au début

Mais c'est un fait, la femme célibataire rabaisse ses exigences à mesure que son âge avance, et décide de faire des compromis. Comme s'il ne fallait pas trop jouer avec le feu. Cela est très perceptible à partir de 30 ans et évident à partir de 35 ans. «L'idéal indépassable reste le mariage, et la société libanaise considère qu'une femme ne peut être accomplie que si elle est une femme mariée», précise Barbara Drieskens. Ainsi si beaucoup de femmes affirment dans un premier temps ne pas vouloir se marier si elles ne trouvent pas l'homme rêvé, elles font vite marche arrière quand elles s'imaginent finir seules. Mirna, 28 ans, employée dans une agence commerciale, affirme qu'elle se fixe l'âge limite de 33 ans: «Au-delà, je suis prête à trouver un homme pour me marier, même s'il me plaît moins, même s'il est déjà marié, qu'il a déjà des enfants, et qu'il ne gagne pas beaucoup d'argent. J'ai la hantise de finir seule.» Derrière ce revirement, il y a surtout le désir d'avoir des enfants, qui est très fort chez les femmes libanaises, mais aussi la pression sociale. «A partir d'un certain âge, la femme célibataire se retrouve marginalisée, elle n'est plus invitée aux dîners. Ses amies hésitent à l'inviter de peur qu'elle porte malheur à leur enfant: si elle est secrètement jalouse, elle risque d'incarner une sorte de «mauvais œil»...On considère qu'après 40 ans, la femme a raté le train, que c'est de sa faute si elle se retrouve seule car elle n'a pas voulu se marier avec les hommes qu'elle a rencontrés», raconte Barbara Drieskens. Pourtant, des femmes, même si elles sont encore largement minoritaires, revendiquent clairement le fait de vivre seules. C'est le cas d'Emma, 34 ans, qui affirme sans ambages que le mariage est un «fléau», qui lui fait peur. «Je n'ai pas assez de nerfs pour fonder une famille et travailler en même temps. C'est beaucoup trop stressant de mener une double vie, au bureau et à la maison, ça donne des journées infernales! Il faut à la fois être businesswoman, maman et partenaire de couple. Il faut s'occuper des enfants, gagner de l'argent, être tirée à quatre épingles... Je préfère rester seule, j'ai beaucoup moins de responsabilités et je suis tout aussi heureuse.» L'exemple du mariage de ses deux sœurs lui a suffi, et elle assume très bien son statut de femme célibataire.

La pression sociale du mariage

Avoir le statut de femme célibataire ne signifie pas être totalement libre, et le célibat prolongé des femmes reste souvent mal perçu par la société. Il est en tout cas considéré comme une période transitoire. On rappelle régulièrement à la femme célibataire qu'elle ne doit pas perdre de vue le mariage, que l'horloge biologique tourne vite. La question classique, quand on n'a pas vu une fille depuis un an, c'est évidemment de lui demander si elle s'est mariée... Chez les musulmans, la pression sociale est encore plus grande, car dans la religion musulmane le mariage à un jeune âge est conseillé pour éviter toute relation sexuelle avant le mariage. Les parents tentent d'organiser des rencontres avec des prétendants que les femmes n'ont jamais vus et découvrent pour la première fois dans leur salon... Noura, 32 ans, un voile bleu marine épinglé sur la tête, explique que ses parents lui ont présenté plus d'une dizaine de «candidats» qu'elle a tous renvoyés aux calendes grecques. «Ils téléphonent, se présentent, font toutes sortes de compliments devant mes parents, et puis s'en vont. Je n'aime pas cette manière de faire, je trouve ces hommes hypocrites. Nous sommes en 2006, ça n'existe plus les mariages arrangés!» Elle poursuit: «Ce n'est pas facile à vivre, les gens posent toujours des questions, pourquoi n'est-elle pas mariée, qu'est-ce qu'elle attend? Elle est anormale. La situation est surtout difficile à vivre pour mes parents qui souffrent du regard des autres. Il ne faut pas oublier que nous vivons dans une mentalité orientale. Je dis à mes parents que rien ne sert de se marier avec un homme qui ne me convient pas.»
Comme l'explique Barbara Drieskens, «les femmes en sont contraintes à se considérer en victimes disant qu'il ne faut pas les forcer à se marier avec un homme qu'elles n'aiment pas. Elles en viennent à se dévaloriser elles-mêmes pour retarder l'échéance du mariage.» Mais encore une fois, poursuit l'anthropologue, «la femme qui considérait les présentations familiales comme futiles avant la trentaine, commencent à se dire vers l'âge de 35 ans, que finalement ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée...».

Un célibat «sous contrôle»

La femme célibataire n'est pas tout à fait libre de mener sa vie telle qu'elle l'entend. Il est rare de trouver une femme entre 25 et 35 ans qui vit seule ou en concubinage. Toutes les femmes vivent pratiquement toujours chez leurs parents, où règne l'autorité paternelle. «Une femme passe directement du foyer familial au foyer marital, il n'existe pas de statut intermédiaire. Ou alors il faut qu'elle donne des justifications pour vivre seule, comme le travail ou les études. Sinon, socialement, ce n'est pas acceptable, car la raison présupposée est automatiquement la sexualité. On ne s'imagine pas que la femme ait besoin d'indépendance, d'intimité, d'un endroit pour se retrouver seule», analyse Barbara Drieskens. Beaucoup de femmes célibataires disent aimer vivre chez leurs parents car c'est «dans la culture et dans le respect des traditions», mais si elles avaient le choix, elles aimeraient vivre seules. Car l'air de rien, demander toujours l'autorisation avant de sortir quand on a dépassé 25 ans, est frustrant. Rima, 26 ans, qui a vécu cinq ans dans un foyer avant de revenir habiter chez ses parents, raconte qu'à chacune de ses sorties, c'est le même interrogatoire: «Où est-ce que tu vas, avec qui tu vas, est-ce que tu es motorisée? Tu sais, il y a du vent, des risques d'attentats, beaucoup de policiers dans les rues, tu ne devrais pas sortir ce soir...». Elle a évoqué avec ses parents la possibilité d'habiter seule, mais la réponse est la même: «Tu es bien avec nous, tu fais ce que tu veux. Si tu prends l'habitude de vivre seule, tu deviendras de plus en plus libre et tu repousseras l'idée du mariage.»
S'il est difficile de vivre seule pour la femme célibataire, que dire de la vie en concubinage? A peine 2 ou 3% de femmes libanaises choisissent ce mode de vie. Hormis le fait que le concubinage ne soit pas autorisé par la loi, beaucoup de jeunes femmes le considèrent comme «moralement illégal» et contradictoire avec la religion, surtout pour les musulmans, car qui dit concubinage sous-entend relations sexuelles. Les rares couples qui vivent en concubinage le font en cachette, seuls quelques amis et les parents étant au courant. Ils disent aux voisins qu'ils sont mariés, payent un loyer à un seul nom, vivent le plus discrètement possible... Peu de jeunes femmes se sont encore décidées à passer le cap, alors même qu'elles entretiennent parfois une relation avec le même homme depuis plusieurs années.

Le tabou des relations sexuelles

Tout semble conçu pour que la femme célibataire ne dispose pas d'un trop grand espace de liberté. Cela ne l'empêche pas pour autant d'avoir des relations amoureuses avec des hommes, parfois qui durent jusque quelques semaines, voire plusieurs mois, mais sans que les parents soient mis au courant. Comme le dit Rima, «c'est en ayant des expériences que l'on commence à savoir quel homme on veut. Comment les femmes qui se marient tôt arrivent-elles à savoir ce qu'elles désirent? C'est un apprentissage qui prend du temps.» En revanche, de nombreuses femmes considèrent toujours qu'avoir des relations sexuelles avant le mariage est une ligne rouge, une limite à ne pas dépasser. Tout est toléré, sauf l'acte sexuel en lui-même. «Si de plus en plus les femmes ont des relations sexuelles avant le mariage, très peu l'admettent, même si elles viennent d'un milieu ouvert, car avoir des relations sexuelles hors mariage reste associé à la prostitution. Et cela quelle que soit la confession», conclut Barbara Drieskens. Un blocage psychologique, qui empêche la femme célibataire d'être encore totalement elle-même.

 L'hebdo Magazine .Nº 2526 du Vendredi 07 Avril 2006    http://www.magazine.com.lb/
 

Ecrit par laurencia le Lundi 10 Avril 2006, 20:37 dans "ARCHIVES" Lu 2089 fois. Version imprimable

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