Lorsqu’on évoque les droits de la femme ou ceux de l’enfant, on est tenté de dire que 2004 était une année pour rien, une année d’immobilisme, notamment dans le domaine législatif. On est surtout tenté de penser qu’aucune avancée n’a été observée tant au niveau des droits de la femme que de ceux de l’enfant. Car la réalité libanaise demeure accablante, alors qu’en Occident, non seulement la femme est depuis bien longtemps placée au même rang que l’homme, mais l’enfant, lui aussi, bénéficie de ses droits, au même titre que les adultes.
Même si le Liban a ratifié en 1996, la Convention contre toute forme de discrimination envers la femme, celle-ci demeure victime des mentalités rétrogrades et souffre de discrimination, dans sa famille, dans son travail, dans la vie politique. La femme libanaise ne peut encore prétendre diriger sa vie comme elle l’entend, elle est prisonnière des lois religieuses qui régissent son héritage, son mariage, son divorce, la garde de ses enfants, et la placent en situation d’inégalité, voire d’infériorité par rapport à l’homme. Rien que pour citer quelques exemples, la femme libanaise ne peut transmettre sa nationalité à ses enfants, lorsqu’elle épouse un étranger, alors que l’homme libanais la transmet automatiquement. En cas d’adultère, la femme est punie et montrée du doigt, alors que l’homme jouit d’une liberté quasi absolue. Si elle divorce, elle perd systématiquement la garde de ses enfants dès qu’ils atteignent un certain âge. Quant aux crimes d’honneur, ils ne sont toujours pas sanctionnés par la loi libanaise, car ils continuent de bénéficier de circonstances atténuantes. Que dire aussi des problèmes de la femme active, qui, à égale qualification, est largement moins payée que ses collègues masculins, alors qu’auprès de la CNSS et des caisses de retraite, elle n’est toujours pas considérée comme étant soutien de famille ?
Deux femmes ministres La liste des inégalités est longue. Le paradoxe frappant. La femme libanaise, une des plus éduquées et des plus actives au Moyen-Orient, ploie sous le poids des responsabilités, dans tous les domaines de la vie, mais ses droits sont négligés, confisqués surtout par une société patriarcale encore trop traditionnelle. On ne peut que s’interroger sur les causes de cet immobilisme, alors que pullulent les associations de lutte pour les droits de la femme. Infiltrées, divisées, minées de l’intérieur par le pouvoir, les partis politiques et les ordres religieux, les associations féministes ont les mains liées et parviennent difficilement à coordonner leurs activités et à se mettre d’accord sur leurs priorités. Quant au message, il arrive rarement à destination. Encore faut-il que le pouvoir soit prêt à l’entendre. « À défaut d’être militantes et agressives, les féministes se contentent d’apporter une certaine protection à la femme, la confinant parfois dans son statut de femme dépendante », déplore Fahmieh Charafeddine, militante pour les droits de la femme. Mais dans ce tableau pour le moins sombre, on constate certaines avancées, certaines initiatives, aussi bien sur le terrain que dans les mentalités. Depuis le mois d’octobre, le gouvernement libanais compte deux femmes, Leila Solh, ministre de l’Industrie, et Wafa’ Hamzé, ministre d’État. Une femme députée, Nayla Moawad, s’était, auparavant, présentée aux élections présidentielles, et personne n’avait jugé cette initiative déplacée ou risible. Bien au contraire. Ce phénomène est d’ailleurs jugé irréversible par Mme Charafeddine, même si cette dernière considère que c’est par la petite porte que la femme libanaise rentre en politique. Aujourd’hui, toutes les ONG semblent se solidariser dans un même objectif et luttent ensemble, à partir d’un réseau Internet, contre toute forme de discrimination à l’égard de la femme.
Bientôt une étude sur les conditions de vie de la femme et de l’enfant Concernant l’enfant, c’est en 1990 que le Liban a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant. Mais, malgré un programme de collaboration avec l’Unicef, signé en 2003, la situation de l’enfance est encore précaire, liée à la pauvreté qui gagne de nouvelles tranches de la population. Mal nourris, privés de soins médicaux, mais aussi d’école, réduits à la mendicité ou au travail forcé, bon nombre d’enfants libanais se retrouvent otages de l’absence d’une politique nationale de lutte contre la pauvreté. Alors que l’État a voté en 1998 la loi sur l’enseignement primaire obligatoire, et que des dizaines d’écoles publiques ouvrent leurs portes dans la capitale ou dans les régions éloignées, aucun programme d’application de cette loi n’a jamais été mis en place. Et même si les familles libanaises sont soucieuses de l’importance de l’éducation, elles n’ont souvent d’autre choix que d’en priver leurs enfants. À titre d’exemple, les enfants des agriculteurs de tabac constituent une main-d’œuvre précieuse et désertent l’école durant de longs mois, afin d’aider leurs parents dans leur tâche. Que dire aussi des adolescents, recalés du système scolaire dès le deuxième échec, alors que la réforme de modernisation de l’enseignement tant attendue semble avoir été reléguée aux oubliettes ? Mais là où la législation libanaise est en nette contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant, c’est dans le domaine de l’enfermement des mineurs en conflit avec la justice. « Une loi votée en 2001 et qui a été reconnue comme étant une erreur par bon nombre d’hommes politiques », observe l’avocat, Georges Khadige. Mais entre-temps, des centres de rééducation pour mineurs en conflit avec la loi, comme l’Upel, sont à l’agonie faute de subventions de l’État. Certes, dans cet état des lieux pour le moins stationnaire, les associations bougent, afin de combler l’immobilisme de l’État. On ne peut manquer de saluer l’initiative de l’épouse du chef de l’État, Andrée Lahoud, grâce à laquelle une aile entière de l’hôpital gouvernemental de Dahr el-Bachek a été aménagée pour accueillir les femmes mineures en conflit avec la justice, les séparant ainsi des criminelles adultes. Une année pour rien ? On serait tenté de le penser, sans l’activité intensive des ONG s’occupant de la femme et de l’enfant, sans le lancement d’une étude nationale, par l’État libanais, en collaboration avec les Nations unies et la Banque mondiale, sur les conditions de vie de la femme et de l’enfant. Une étude qui vise notamment à se renseigner sur la santé familiale, et à déterminer le seuil de pauvreté au Liban, et qui permettra, une fois publiée, estime le Dr Ali Zein de l’Unicef, d’établir un bilan objectif de la situation. Il reste à espérer que les résultats de cette étude seront publiés à la date prévue, autrement dit au cours du premier trimestre de l’année 2005, pour que les choses avancent enfin. Anne-Marie EL-HAGE |
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