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Politique, religion, homosexualité, concubinage, mariages mixtes

L'Hebdo Magazine Nº 2531 du Vendredi 12 Mai 2006

 

Ils s'appellent Abdallah, Pauline, Suzanne, Hamad ou Joséphine. Ils sont chrétiens, musulmans ou druzes. Ils ont chacun leur propre histoire, leur propre vécu. Pourtant, un facteur commun les rassemble: leur
lassitude à l'égard du système confessionnel qui rejaillit sur l'ensemble de leur vie quotidienne. Magazine est allé à la rencontre des jeunes pour les interroger sur la politique, la religion, la sexualité...

«La politique? Khalas!» Christian et Rami ne veulent tout simplement plus entendre parler du sujet. Ils l'ont suffisamment ressassé, et, au bout du compte, aucun changement ne se profile à l'horizon. «Le système libanais est un véritable labyrinthe confessionnel. Il est impossible de concilier les intérêts de toutes les communautés, tant qu'elles revendiqueront chacune une part du gâteau». Le dialogue serait utopique, du moins tant que le système confessionnel sera en place, pensent les deux amis. Une opinion partagée par Hassan Hammoud, un jeune avocat: «Comment mettre en place un dialogue, alors que les communautés vivent centrées sur elles-mêmes et qu'elles commencent tout juste à faire connaissance?» Le problème du pays viendrait de cette interaction entre politique et religion, pour nombre de jeunes Libanais. «En tant que croyante, je n'aime pas que mon mufti parle de politique, je veux simplement qu'il me parle de religion», explique Suzanne Hossari.
La politique est basée sur l'appartenance communautaire, les partis suivent chacun une idéologie religieuse, et force est de constater que le résultat n'est pas probant: «On a suffisamment expérimenté le système communautaire, ça ne marche pas», lâche Joséphine Hage Chahine, avant de poursuivre: «Il faut trouver autre chose». La solution serait-elle alors la laïcité, une séparation claire et nette de la politique et du religieux? «Les Libanais ne sont pas prêts pour la laïcité, le sectarisme est bien trop ancré dans le quotidien de chacun. La guerre intérieure de chaque personne ne s'est pas arrêtée», pense Mouna Merhi, productrice de documentaire. Suzanne Hossari non plus n'envisage pas cette solution à court terme. «Comment faire pour appliquer cette base laïque?», s'interrogent les jeunes. La désillusion semble avoir pris le pas. Le système est bien rodé, le clanisme des familles politiques perdure, chacun fait appel à son vivier communautaire.

Un système tentaculaire

Mais le problème ne se cantonne pas à la sphère politique, il se répercute à plusieurs niveaux. «Nous vivons tous en autarcie, chaque communauté a son tribunal, son juge. Sur le marché de l'emploi, on trouve la politique de quotas réservant tant de place pour les chrétiens, les musulmans... Un constat qui révolte les jeunes, jugeant ses mesures purement artificielles et discriminatoires. Joséphine Hage Chahine et Jennifer Farhat font des études de droit. Leur rêve: devenir magistrate. Elles auront beau travailler de façon acharnée, réussir leurs études universitaires, elles ne trouveront une place de magistrate qu'en fonction des quotas. «On n'obtient pas un poste parce qu'on est compétent ou qu'on le mérite, mais selon le nombre de postes prévus pour chaque communauté». Leur souhait? Revendiquer la candidature au mérite. «Si cette classification des individus en communautés n'existait pas, il n'y aurait plus ni minorité, ni majorité», estiment les deux jeunes femmes. Le système tourne en rond. «Ça va brûler, pense Mouna, sans vouloir jouer les Cassandre. Une solution évoquée à de nombreuses reprises par les jeunes serait le statut civil personnel, tant de fois débattu, jamais encore adopté. «Le statut civil changerait le statut confessionnel et permettrait une application uniforme pour toutes les communautés», espèrent Joséphine et Jennifer.
Le statut civil personnel permettrait une véritable mixité sociale, un brassage, et pas uniquement des intérêts communautaires, simplement mis côte à côte, mais bel et bien séparés. «Tout est mixte au Liban», analyse Ogarite Younane du mouvement associatif «Civil Rights». «Mais la mixité peut prendre différentes formes. Elle peut être un collage, un mélange, être diluée, il n'y a pas de définition unique». Pour elle, une seule alternative, le mixte doit devenir «commun». Et ce commun, «c'est la liberté d'aimer», selon elle. Son association a entre autres pour mission d'informer les couples de la procédure à suivre pour faire un mariage civil à l'étranger.
Car le confessionnalisme ne se cantonne évidemment pas à la res publica, il touche à la sphère la plus intime: les relations amoureuses. Tant que les relations ne sont pas consolidées par les liens du mariage, la barrière confessionnelle ne semble pas poser problème à la jeunesse. Les chrétiennes sortent avec des musulmans, les druzes avec les chiites, toutes les combinaisons sont possibles. Si tant est que la relation soit vue sous le prisme de la brièveté et de la légèreté, parce que, dès qu'on touche au mariage, les avis ne sont plus les mêmes! Il est préférable de rester dans sa propre communauté. Ramona et Norma trouvent normal que les jeunes se «mélangent» dans la vie quotidienne, dans leurs relations d'amitié, mais pas question de faire un mariage mixte ou civil dans leur propre cas. Ramona est musulmane. Son mari sera automatiquement un musulman. «C'est essentiel d'avoir la même religion pour éduquer ensuite son enfant, pour perpétrer nos traditions». Pour la jeune fille, on ne peut pas effacer les différences confessionnelles dans la vie de chacun, c'est en politique seulement qu'il faut y mettre un terme. Sa comparse, Norma, a une vision un peu plus nuancée. «Le mariage civil garantit les droits de la femme, alors que dans la religion, la suprématie de l'homme sur la femme est incontestable».
Pour les couples mixtes, la solution la plus répandue est alors le voyage vers Chypre. Diala el-Jawhari est une toute jeune mariée. Elle s'est unie à l'homme qu'elle aime en mars dernier. Diala est druze, son époux chiite. Ils se connaissent depuis les bancs de l'école: «Nous sommes en totale harmonie de pensée et de croyances», affirme la jeune femme, sereine. Bien sûr, leur union n'a pas été du goût de tout le monde. Leurs parents n'étaient pas très emballés par cette perspective, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais ils ont fini par l'accepter. Pas question de faire un mariage religieux, Diala étant déjà suffisamment marquée par le divorce difficile de ses parents. Elle et son futur mari ont alors choisi alternative chypriote. Une centaine de couples se rendrait chaque année sur l'île pour se marier civilement. Nombreux sont pourtant les opposants au mariage civil chez les parents, car ceux-ci pensent que le mariage civil va à l'encontre de la religion.
Les relations amoureuses ne sont pas toujours faciles, même pour des jeunes issus de la même communauté. Pauline est chrétienne. Son petit ami aussi. Ni l'un ni l'autre ne veut se marier pour le moment. «On attend de mieux se connaître, de partager le quotidien, avant de faire des projets de mariage». Ils vivent ensemble à Achrafié. Officiellement, Pauline partage un appartement avec une amie. «Mes parents vivent loin de la capitale. Comme j'ai trouvé un travail à Beyrouth, je leur ai dit qu'il fallait que je vive sur place. C'était une opportunité pour moi de vivre avec mon copain. Mais mes parents ne seraient jamais d'accord. C'est très mal vu de vivre en concubinage, même si beaucoup de jeunes le font, du moins en secret».
Les jeunes cultivent précieusement leur jardin secret, à l'abri des regards, dans le plus pur secret. A l'instar de Abdallah. Ce trentenaire raffiné est homosexuel. Mais très peu de gens le savent. «Etre homosexuel est très mal vu dans ce pays, non seulement c'est passible d'une peine de prison, mais en plus c'est «haram» au regard de la religion», explique-t-il, quelque peu amer. Abdallah préfère donc se faire discret, pour son propre confort. «A Beyrouth, tout se sait très vite, et je n'imagine pas les conséquences qu'impliquerait un coming out. Mes parents sont très conservateurs, ma famille le vivrait comme une honte, j'aurai également peur de perdre mon travail. Le diktat religieux est très puissant!»

Beaucoup de tabous sexuels

«Tu peux tricher et faire beaucoup de choses», lâche Mouna. «On peut tout faire, tant que personne ne le sait, pensent aussi Joséphine, Jennifer et Rayanne. Les tabous ont la dent dure. Le nœud gordien est souvent la méconnaissance de l'autre, les préjugés. «Je pensais que la sexualité était un cas pathologique. L'une de mes amies a rencontré un homosexuel, il lui a fait part de son expérience. Du coup, j'ai fait des recherches sur l'homosexualité. Je n'aime pas avoir des idées conservatrices», confie en riant Suzanne. J'ai compris que c'était naturel. Je pense que les homosexuels ne doivent pas être bannis. Mais je ne veux pas non plus que ça devienne un phénomène banalisé».
Les jeunes ne rejettent pas leur religion, bien au contraire. Très peu se disent athées, mais pour eux, Dieu et la religion doivent rester uniquement dans «le cœur de l'homme». «Tous les Libanais sont libres de leurs confessions religieuses», résume avec sagesse Hassan. Mais elle doit être réservée à la sphère privée. «Pour moi la laïcité, c'est la tolérance, ajoute Joséphine. Je ne suis pas par exemple contre le fait d'interdire le voile. Tant qu'il correspond à une conviction personnelle, je ne vois pas où est le problème. Suzanne a le même raisonnement. «J'ai ma propre vision de la religion. Je peux comprendre qu'une femme qui organise toute sa vie et son comportement de manière religieuse mette le voile, c'est un symbole de piété. Par contre, si c'est simplement pour dire «je suis musulmane» ou si le voile est une contrainte imposée par la famille, je suis contre.
Avant d'être sunnite, chiite, druze, chrétien maronite ou grec-orthodoxe, tous ces jeunes sont Libanais. Ils ont ressenti très vivement ce sentiment d'appartenance à une même communauté lors du printemps de Beyrouth, en 2005. Cette union, cette solidarité était, semble-t-il, à son apogée. Aujourd'hui, ils ne veulent plus que leur identité soit réduite à leur appartenance communautaire. Certes, elle est une composante importante de leur identité, mais elle ne la résume pas. Pourtant, ils se heurtent tous au même mur: ils ont beau vouloir sortir du système communautaire, ils ne savent pas comment faire. Pour Hassan, l'alternative possible est l'éducation. «Il faut éduquer ses enfants à réfléchir en tant que Libanais, les habituer à la mixité dès l'enfance. On apprend difficilement le piano à 25 ans, c'est plus évident quand on est petit. C'est pareil pour la mixité».

 


Le printemps des interrogations

Un an après le printemps de Beyrouth, André Baladi, Reina Sarkis, Fadi Toufic et Lokman Slim ont décidé de relancer le débat dans le pays du Cèdre. Jugeant que certaines questions fondamentales de la vie socio-politique ont été passées sous silence, ils ont décidé de mettre au point un questionnaire
interrogeant le rapport de chaque citoyen à la Constitution, aux lois civiles et à leur vécu identitaire. Confessionnalisme politique, conversion religieuse, laïcité, liberté d'expression, mariage civil... autant de sujets épineux abordés dans cette campagne pour inviter tous les Libanais à un grand débat sur la société. Ce questionnaire, comprenant 31 points, a en effet moins vocation à tirer des statistiques que d'insuffler la réflexion et le débat. Environ 1200 personnes ont répondu pour le moment au questionnaire distribué dans les universités et les lieux publics, ou disponible en ligne sur www.springhints.org. Deux points sont essentiels selon les instigateurs du questionnaire. Tout d'abord, les Libanais sont dans leur majorité favorables à des réformes démocratiques: «70% ont des penchants pro-démocratiques», déduit André Baladi. Mais ce qui l'a davantage surpris est la crainte exprimée d'une nouvelle guerre au Liban: 61% des Libanais ayant répondu au questionnaire redouteraient cette alternative.


Mariage civil: direction Chypre

Instauré en 1936 sous le mandat français, le mariage civil n'est pas appliqué au Liban. Seule solution pour les adeptes de l'union civile: contracter un mariage à l'étranger. Deux jours et 1000 dollars sont suffisants pour convoler en justes noces (civiles) à Chypre. Le plus étonnant est que la loi
libanaise autorise et reconnaît ce mariage. Une solution qui séduit les couples mixtes ne voulant pas se convertir à la religion de leur conjoint, mais aussi les pourfendeurs du mariage religieux ou ceux se revendiquant comme athées

 
 
     

Ecrit par Origines Liban le Jeudi 11 Mai 2006, 23:23 dans "ARCHIVES" Lu 4655 fois. Version imprimable

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