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Les victimes sont des femmes qui ont souillé la dignité de l'homme .Les crimes d'onneur entre une loi moderne et un environnement rétrograde

LIBAN Mars 2000 L'Orient le jour

On les appelle les crimes d’honneur, même si, souvent, ils n’ont d’honorable que le nom. Ils sont bien plus fréquents qu’on ne le pense et leurs auteurs – que dans certains milieux on se refuse à qualifier de criminels – bénéficient généralement de l’indulgence des magistrats et de la société. Les victimes ? Ce sont généralement des femmes dont on noircit la réputation pour justifier l’injustifiable, la mort forcée, imposée par ceux qui sous prétexte de défendre l’honneur familial, laissent libre cours à leurs pulsions. Il a fallu les efforts de la regrettée Laure Moghaïzel et la détermination de l’ancien ministre de la Justice Bahige Tabbarah pour que la loi sur les crimes d’honneur soit amendée, remplaçant l’excuse absolutoire par une excuse atténuante. Mais la réalité continue à être poignante. Mariam a gardé son secret pendant 5 ans. Cinq longues années au cours desquelles elle souffrait de dépression et dépérissait, sans pouvoir se confier à quelqu’un, cachant sa honte entre ses quatre murs. Puis, un jour de 1995, ne supportant plus de se taire, elle a tout raconté à son mari. Au cours de l’année 1990, son fils est tombé gravement malade. Les soins médicaux ne parvenant pas à le guérir, Mariam se décide à consulter un voisin qui pratique la sorcellerie. Elle frappe à sa porte, accompagnée de son fils malade. L’homme la reçoit aimablement et après un bref entretien lui demande de revenir le lendemain, seule pour que le sort agisse plus rapidement. Mariam se présente au rendez-vous, seule, comme convenu. L’homme lui offre un verre d’eau. Elle saura plus tard qu’il y avait versé une drogue. Elle plonge dans un profond sommeil et se réveille quelques heures plus tard, entièrement nue, dans un lit inconnu. Comme elle demande terrifiée des explications, l’homme lui répond que du thé est tombé sur ses habits et qu’il a dû les lui ôter. Elle comprend alors qu’il ne s’est pas contenté de la déshabiller. Morte de honte, elle s’en va sans un mot et se met à dépérir. Excuse absolutoire et excuse atténuante En apprenant l’histoire, son mari entre dans une rage folle. Il n’a plus qu’une obsession, venger l’honneur de sa femme. Le 19/8/95, le «sorcier» faisait ses courses en compagnie de son petit-fils. Il le guette et lorsqu’il s’approche de lui, il l’abat à l’aide d’une mitraillette. Arrêté, il avoue son crime, sans toutefois manifester le moindre regret, arguant du fait qu’il a agi pour défendre sa dignité et son honneur. Son procès se déroule actuellement devant la cour criminelle de Beyrouth. L’article 562 du code pénal stipule : «Pourra bénéficier d’une excuse absolutoire quiconque, ayant surpris son conjoint, son ascendant, son descendant ou sa sœur en flagrant délit d’adultère ou de rapports sexuels illégitimes avec un tiers se sera rendu coupable sur la personne de l’un ou de l’autre de ces derniers d’homicide ou de lésion non prémédités». Sur une initiative de Mme Laure Moghaïzel, cet article a été amendé le 10 février 1999, en guise d’hommage posthume et l’excuse absolutoire est devenue une excuse atténuante. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, l’auteur d’un crime dit d’honneur pourra bénéficier d’une excuse atténuante et c’est le juge qui décidera l’importance de celle-ci. Me Mirella Abdel Sater, avocate très impliquée dans tout ce qui concerne les droits de l’homme et auteur, avec Me Fadi Moghaïzel, d’une étude juridique sur les crimes dits d’honneur précise qu’en général, les peines sont allégées jusqu’à 3 ans, durée minimum de détention pour un crime, alors que normalement, le crime est passible de la peine capitale ou en tout cas de lourdes peines. Pourtant, toujours selon Me Abdel Sater, la loi libanaise est relativement moderne. En ce sens que les conditions requises pour que l’auteur d’un crime dit d’honneur puisse bénéficier d’une excuse atténuante sont assez difficiles à réunir : il faut que le crime ne soit pas prémédité, autrement dit que l’auteur ait été surpris par la nouvelle et qu’il y ait eu flagrant délit, c’est-à-dire qu’une rumeur ne suffit pas à justifier le crime. De même qu’une réaction tardive ne permet pas (en principe) à l’auteur de bénéficier d’une excuse atténuante. Mais comme les circonstances sont laissées à l’appréciation du juge, ce dernier a toute latitude pour infliger les peines de son choix. Il arrive ainsi que les condamnations initiales à la peine capitale ou à la détention à perpétuité soient commuées en trois ans de prison et parfois moins. L’indulgence des magistrats Les exemples à ce sujet sont nombreux et les cas se ressemblent. En général, les victimes de ces crimes sont toujours des femmes, mariées ou célibataires, soupçonnées par les hommes de la famille d’avoir établi des relations sexuelles hors du mariage. Les situations les plus fréquentes sont celles où un frère tue sa sœur pour «l’honneur de la famille». C’est aussi souvent le mari qui «lave» son propre honneur et parfois le père qui se charge lui-même de la besogne. Mais il est rare qu’un fils tue sa mère parce qu’elle est adultère. Me Abdel Sater relève le fait que dans la plupart des cas, il n’y a pas de partie civile, ce qui réduit considérablement la défense de la victime. Car, le criminel étant un membre de la famille, celle-ci préfère ne pas porter partie civile et, au contraire, a toujours tendance à protéger le bourreau. Résultat : au cours du procès, seul le représentant du parquet est censé défendre la victime. Mais il se retrouve généralement face à un dilemme : faut-il défendre la victime ou la société dont est issu l’assassin, puisqu’en définitive, son rôle est essentiellement de défendre les intérêts de la société ? La malheureuse victime, déjà morte et enterrée, ne trouve donc personne pour défendre sa mémoire. Au contraire, tout le monde s’ingénie à salir son passé pour justifier le crime. Dans les jugements des tribunaux, il n’est ainsi pas rare de trouver des expressions infamantes pour la femme, comme si les juges comprenaient qu’un homme dont l’honneur est sali puisse réagir violemment pour retrouver sa dignité. Il arrive aussi qu’ayant appris qu’une femme de la famille a «fauté», les hommes se réunissent et décident de confier la mission de «laver l’indignité» à son frère mineur. On est certes loin de l’effet de surprise prévu par la loi, mais comme le criminel est un mineur, c’est le tribunal pour délinquants mineurs qui tranche et en général est beaucoup plus clément pour l’auteur du crime qu’un tribunal pour adultes. En 1995, le tribunal des mineurs à Nabatiyé a condamné X à la peine capitale pour avoir tué sa sœur soupçonnée d’adultère et ayant quitté le domicile conjugal. Mais comprenant que le mobile était de «laver l’honneur de la famille» et arguant du fait que le criminel est un adolescent, la peine initiale a été commuée en trois mois de détention, c’est-à-dire la période de son arrestation préventive avant la publication du jugement du tribunal… La pression sociale Toujours en 1995, l’actuel procureur général près la cour de cassation M.Adnane Addoum, qui était à l’époque, président de la cour criminelle du Mont-Liban avait condamné l’époux de Y à cinq ans de prison alors que ce dernier avait abattu son épouse à l’aide d’un revolver (sans licence de port d’armes). Dans son jugement, M.Addoum avait longuement développé le fait que «le couple vivait dans un milieu très conservateur où les vertus familiales et traditionnelles de dignité et d’honneur étaient omniprésentes. Or, en quittant le domicile conjugal et en établissant une relation adultère avec un autre homme, dont elle a eu un enfant, alors qu’elle en avait déjà six avec son mari, elle avait jeté la honte sur ce dernier, devenu ainsi la risée de son quartier. Face à cette pression intolérable, il s’est vu contraint à réagir pour recouvrer sa dignité…» Comme on le constate, les juges comprennent en général les mobiles du criminel et cherchent toujours à le faire bénéficier de l’excuse atténuante. En somme, tout dépend du milieu auquel appartiennent le bourreau et sa victime. Et souvent, ce milieu est pauvre, conservateur ou rural. Se basant sur ces considérations, le crime aux yeux des magistrats – et souvent de la société – devient justifiable. Mais nul ne songe à pousser ce milieu à évoluer. C’est comme si, dans ces régions défavorisées, les hommes de la famille (père, frère, grand-père, fils et mari) avaient des droits de vie ou de mort sur les femmes de la même famille. Ils sont leurs tuteurs et les gardiens de leur honneur… Nous sommes bien loin des droits de la femme et du principe d’égalité entre les sexes défendu à cors et à cris aujourd’hui par certaines organisations. Au Liban, deux univers continuent donc de coexister en s’ignorant totalement : l’un est permissif, égalitaire et frôle parfois le laxisme et l’autre est fermé, patriarcal et terriblement pesant pour les femmes. C’est peut-être à rapprocher ces deux mondes qu’il faudrait s’employer. Pour avoir une société harmonieuse à défaut d’être juste.

Ecrit par Laurencia le Samedi 13 Août 2005, 23:43 dans "LES CRIMES D HONNEUR" Lu 3082 fois. Version imprimable

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