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C'est l'heure de partir sur Euphor

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Demain midi, je serai dans ma navette. Sur le départ. Vers de nouvelles aventures. La libanaise s'arrête là. J'ai fait le calcul: 18 années(-lumière), 3 mois et 22 jours. C'est déjà pas mal.

J'ai souvent pensé à ce dernier post. Depuis longtemps même. A la meilleure façon de refermer ces chroniques entamées il y a presque 9 ans à quatre mains, avec Nathalie, en pleine guerre de cet explosif mois de juillet 2006. Par une simple chanson. Par une simple photo. Par un unique mot...

Par un petit discours de ce genre...

"I have things to do. I've put this off far too long. I regret to announce this is the end, I'm going now. I bid you all a very fond farewell. Goodbye."

 

Aujourd'hui, je regarde autour de moi. Mon appartement est vide, ma tête pleine de souvenirs. J'ai eu le temps de m'en fabriquer des brouettes entières. Les virées au Sud-Liban, les déjeuners improvisés au bord d'une rivière dans le Hermel avant la construction de ces restaurants aux sonos assourdissantes, ces balades doucement interminables sur les routes en lacets de Yammouné ou du Akkar, les cheveux au vent (quand j'en avais encore) dans une Vitara toujours partante, les pique-niques sur les crêtes de Sannine... Tant de choses que les trop nombreux aspirants tyrans de ce pays tentent de nous interdire, une à une. C'est comme ça, et je sais que je n'ai aucune prise sur la suite des évènements. J'ai depuis longtemps l'impression que ces maigres 10452km2 ne cessent de rétrécir au lavage. On essore et blanchit trop de choses sur cette terre, même les kilomètres carrés.

Il y a une dizaine jours, je suis passé à l'improviste à la soirée d'un copain. Il y avait là une trentaine de personnes et je ne connaissais aucun visage. Ça m'a fait du bien de voir du sang neuf, de ne croiser aucune connaissance dans cette ville où tout le monde se connaît, de voir ces gens fraîchement débarqués à Beyrouth pour certains, parfois animés par cette même envie qui m'habitait en 1997. Chacun son tour. Et peut-être que l'un d'entre eux prendra l'avion en 2033 en se disant lui aussi qu'il est temps de prendre la tangente, que l'histoire est terminée. Faut savoir ne pas faire l'année de trop, comme ces vieux sportifs qui hésitent à raccrocher les crampons.

J'ai vu trop de gens que j'aime partir avec un dégoût viscéral pour ce qu'est devenu notre tout petit Liban (certes métastasé jusqu'au trognon), pour ne pas faire comme eux. Je vois trop de gens faire semblant de croire encore au mythe du pays de lait et de miel et rester, pour ne pas faire comme eux. Je veux simplement garder de la tendresse pour ce pays. C'est même essentiel. Comme me le disait un ami cher qui part cette année (lui aussi donc, faut bien avouer qu'il y a un phénomène de débandade généralisée depuis deux ans), c'est un peu comme avec une ex: quelque part, c'est dommage de couper les ponts complètement quand on s'est aimé, c'est bien aussi de rester copains et de se revoir de temps en temps.

J'ai déjà tout dit, tout écrit, tout ce que je pouvais raconter sur ce pays et sur ces gens, ici ou ailleurs. Je ne vais pas me répéter. J'ai simplement eu la chance de vivre à Beyrouth une partie de ma vie, toute ma vie d'adulte en fait, par choix, d'y devenir homme, d'y aimer des gens, d'y avoir noué de belles amitiés, d'y avoir vu naître et grandir mes deux (jolies) filles, d'y avoir expérimenté l'élasticité du temps, d'y avoir écrit des livres, d'y avoir pris des milliers de photographies (à mes risques et périls, hmm...), d'y avoir apprivoisé tant bien que mal la lumière et les histoires. C'est tout ce que je veux garder.

Je n'ai pas tellement envie de dresser ici un bilan exhaustif, mais je sais aussi que j'ai appris beaucoup de choses durant ces longues années libanaises, bien loin de toutes considérations géopolitiques journalo-bellico-régionales: que l'odeur du maquis libanais est exactement la même que celle du maquis de la Corse de mon enfance, que frites + hommos = tuerie, que la religion est la plus incommensurable connerie inventée par l'homme, que l'armée est la deuxième plus incommensurable connerie inventée par l'homme, que la compassion n'est pas un puits sans fond, que le prix de mes erreurs m'a permis d'évaluer mes petites réussites, que l'herbe de la Bekaa est des plus savoureuses, que quémander un permis de séjour chaque année apprend ce que veut dire "être étranger", que le Liban aurait vraiment dû être une île, qu'il est possible de s'apprendre soi-même dans un pays comme celui-ci car vous y êtes sans filet, que c'est un leurre de se croire quelqu'un ici plutôt que d'être anonyme autre part, que les Libanais peuvent d'une minute à l'autre vous émerveiller et vous donner des envies de meurtre (et vice-versa), que l'on peut s'y inventer et se réinventer en permanence du moment que l'on sache dire "merde" aux conventions sociales (et ceci est loin d'être un détail), que la Nature a horreur du vide et que la médiocrité a bien saisi le concept, que le bordel ambiant a tout de même un côté très jouissif, qu'il n'y a pas de honte à pleurer, à sécher ses larmes et à pleurer à nouveau en pensant aux belles choses du passé, que je n'ai pas connu sensation plus sensuelle que celle de mes mains sur la glaise de Samir, et surtout, surtout, que Goldorak ne s'appelle pas vraiment Goldorak.

Bonne chance à ceux qui restent, donc. Et merci à tou(te)s d'avoir transformé ces 18 années en aventure(s). Le Liban est à vous, essayez d'en prendre bien soin, et de sauver ce qui reste à sauver.
Moi, j'ai la tête et le cœur ailleurs.

Dans mes étoiles.

 

PS: maintenant, c'est par ici que ça se passe :-)

 

Ecrit par laurencia le Mardi 5 Mai 2015, 11:29 dans "ARCHIVES" Lu 1767 fois. Version imprimable

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